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D’une part, l’espérance de vie en Suisse continue d’augmenter; d’autre part, le taux de natalité plafonne depuis 40 ans à un niveau si bas que, sans immigration, la population se réduirait d’un tiers à chaque génération. Cet état de fait appelle des idées novatrices d'envergure pour les trois piliers de la prévoyance vieillesse, créée alors que la situation démographique était totalement différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Un panel d’experts, auquel j’avais également été invitée à me joindre en tant qu’économiste et experte en prévoyance, s’est réuni à l’«UBS Center for Economics in Society» pour y débattre lors de l’événement «Solutions possibles pour assurer la prévoyance vieillesse».

AVS: il faut augmenter l’âge de la retraite

Et même si la professeure Monika Bütler, Jérôme Cosandey et moi, nous avons discuté de nombreux sujets sous la houlette du professeur Florian Scheuer sans éviter la controverse, nous étions d’accord en ce qui concerne l’âge de la retraite dans l’AVS: d’un point de vue démographique, il est nécessaire d'adapter les limites d’âges à l’espérance de vie moyenne de la population et qu’elles soient les mêmes pour les hommes comme pour les femmes.

Jérôme Cosandey, directeur romand d’Avenir Suisse, notait: «Augmenter d’un an l’âge de la retraite permettrait d’économiser environ 3 milliards de francs par an.» Reste à savoir comment faire accepter cette idée sur le plan politique.

Augmenter d’un an l’âge de la retraite permettrait d’économiser environ 3 milliards de francs par an.
Dr. Jérôme Cosandey

En Suisse, nous avons l’une des retraites les plus longues au monde. Mon humble avis sur la question: «Aujourd’hui, nous ne travaillons plus qu’1,8 année pour chaque année de rente que nous percevons; aux premiers jours de l’AVS en 1948, nous en travaillions 3,4: presque le double.» Cela est dû au fait que les personnes qui atteignent aujourd’hui l’âge de la retraite percevront une rente pendant 24 ans en moyenne, au lieu de 13 ans en 1948.

Nous étions également d’accord sur le fait que, envisagées sur toute la durée de l’activité, les professions ne sont pas toutes aussi éprouvantes physiquement, et que des modèles individuels seraient donc indiqués dans les secteurs concernés. Toutefois, il faudrait que ces solutions propres à chaque secteur ne coûtent rien à la collectivité, car les entreprises privées de ces secteurs profitent des efforts physiques de leurs employé-e-s, ce qui les incite à constamment améliorer leurs conditions de travail.

Outre le financement de la prévoyance vieillesse, la situation des mères et des pères qui prennent en charge la part la plus importante de l’éducation représente un défi. D’un point de vue financier, leurs prestations ne profitent qu’à l'État tant qu’ils assurent l’éducation de leurs enfants. Devenus adultes, ces derniers financeront, en effet, l’AVS, les soins de santé et les dépenses générales de l’État. Une garde d’enfants rémunérée par l’État permettrait aux parents d’«alimenter» les structures publiques en payant davantage d’impôts sur le revenu et en éduquant les futurs citoyens, tout en assurant leurs vieux jours de leur propre chef au 2e et au 3e pilier.

Au cours des échanges, l’idée de supprimer complètement l’âge unique de la retraite a été mise sur le tapis, mais cette table ronde n’était pas le lieu pour une discussion approfondie sur ce sujet. L’économiste Monika Bütler a donc clos le débat en la matière: «Fixer l’âge de la retraite est primordial, avant même d'aborder la question de son organisation financière.» Un âge de départ à la retraite reconnu par l’ensemble de la société permet tant aux employé-e-s qu’aux employeurs de savoir où ils en sont et combien de temps il faut travailler en règle générale.

2e pilier: libre choix de la caisse de pension pour des solutions individuelles?

De brèves interviews avec trois politicien-ne-s des partis PDC, PVL et PLR, diffusées en préambule, ont servi de base à chaque point de discussion. Mais ce qui prête à controverse pour la politique ne fait aucun doute pour nous, spécialistes: ainsi, nous sommes d’avis qu’une réduction du taux de conversion dans le 2e pilier est une prochaine étape nécessaire. Objet d’un pur débat d’idées dans l’arène politique, la question de savoir si, à l’avenir, les employé-e-s pourront choisir librement leur caisse de pension est, en revanche, extrêmement intéressante pour nous.

La possibilité de choisir n’est, certes, ni un avantage ni un inconvénient quant au financement, mais d’après Jérôme Cosandey, nombre de gens ne comprennent plus aujourd’hui pourquoi la direction de l’entreprise est seule à décider, alors que très souvent, la majeure partie de la fortune de l’employé-e se trouve dans les caisses de pension.

Monika Bütler s’est montrée sceptique concernant cette même possibilité dans le régime obligatoire: «Nous sommes libres de choisir notre caisse d’assurance maladie. Si je fais une erreur là, je ne perds rien. En revanche, si je remarque après cinq ans que ma caisse de pension a fait des erreurs, j’ai un gros problème.»

Pour moi, le libre choix offre clairement des opportunités, car le système actuel, où les décisions sont centralisées, n’a pas répondu aux attentes de générations entières. Je pense donc que cela relativise le risque lié aux décisions individuelles. Pour pouvoir relever les défis liés au système actuel par le biais d’une concurrence renforcée entre les prestataires, nous devrions dissocier la phase d’épargne de la phase de versement. C’est ce que font bon nombre de pays qui connaissent le libre choix de la caisse de pension. De cette façon, il est possible de choisir le prestataire qui convient pour chacune des deux phases. Une solution distincte pour la phase de versement permettrait aussi de verser une rente annuelle plus élevée aux personnes à l’espérance de vie moindre.

À cet égard, le système actuel crée des injustices. En effet, les personnes dont l’espérance de vie est moins élevée, pour des raisons de santé ou parce qu’elles ont exercé une activité plus éprouvante physiquement, subventionnent les plus aisées, dont l’espérance de vie est généralement plus élevée.

L’opinion que l’État providence trouvera bien une solution est largement répandue. Mais il y a bien longtemps que ce n’est plus vrai.
Dr. Veronica Weisser

Monsieur Cosandey estime que le risque que les individus ne se sentent pas capables de choisir eux-mêmes leur caisse de pension n’est pas bien grand: «Si le système est si complexe aujourd’hui, c’est parce que ce sont des opérations B2B. La liberté de marché en réduirait largement la complexité.» En outre, nous prenons sans cesse des décisions aux conséquences financières plus grandes, comme celles que Jérôme Cosandey cite en exemple: le nombre d’enfants qu'on décide d’avoir, le mariage, le divorce ainsi que l’achat d’une maison. Un raisonnement auquel j’adhère: «Quand il faut prendre ses responsabilités, on s’occupe plus de ses propres finances. Je constate, en partie dans mon propre entourage, un manque d’intérêt pour la prévoyance. L’opinion que l’État providence trouvera bien une solution est largement répandue. Mais il y a bien longtemps que ce n’est plus vrai.»

3e pilier: le versement a posteriori est une nécessité de longue date

Dans la discussion au sujet du 3e pilier, les questions centrales pour nous sont de savoir combien chacun-e peut épargner de son propre chef et s’il y a des situations dans lesquelles on n'arrive pas à mettre assez d'argent de côté. Ma réponse à la dernière de ces questions: «Il y a certainement des périodes au cours desquelles les familles avec enfants ne peuvent pas se permettre d'atteindre le plafond annuel de versement au pilier 3a. De mon point de vue, la motion Ettlin, adoptée par le Parlement en vue de rendre possibles les versements a posteriori, va donc tout à fait dans le bon sens.» Une autre option serait d’ouvrir le 3e pilier aux enfants, moyennant un allègement fiscal pour les parents et la possibilité d’investir l’argent dans leur éducation. Si les parents l’expliquent à leurs enfants et que ceux-ci en profitent déjà en cours de formation, l’habitude de prendre ses responsabilités sur le plan financier s’enracinerait plus tôt que jusqu'à présent.

Pour les entreprises individuelles, le 3e pilier revêt une importance capitale, car elles ne disposent pas d’une caisse de pension.
Prof. Monika Bütler

Monika Bütler a donc plaidé en faveur d’une consolidation du 3e pilier pour les indépendants: «Pour les entreprises individuelles, le 3e pilier revêt une importance capitale, car elles ne disposent pas d’une caisse de pension.»

Cette discussion animée m’a confortée dans mon opinion. Des réformes de la prévoyance vieillesse sont nécessaires. Nous devrons, en tant que société, mais aussi en tant qu’individus dans le cadre de votations, prendre des décisions qui ne sont pas agréables dans un avenir proche. L’augmentation de l’âge de la retraite et la baisse du taux de conversion légal n’en sont que deux exemples. Si nous ne prenons pas ces décisions au plus vite, nous courons le risque de porter durablement préjudice à notre système de prévoyance, qui est un bon système en soi. Il est de notre responsabilité collective de l’éviter, mais c’est aussi une réelle opportunité.

Intégrale de la table ronde sur les moyens d’assurer la prévoyance vieillesse

Vous voulez argumenter de manière compétente dans vos discussions sur la prévoyance vieillesse? Familiarisez-vous avec les idées des experts et expertes qui ont participé à la table ronde de l’UBS Center for Economics in Society en suivant l'intégralité de la discussion. En outre, vous trouverez à cet endroit l’enregistrement de la discussion «Le système de santé entre éthique et réalité des moyens», un autre débat au cœur des politiques sociales.