Les nouveaux billets seront-ils les derniers?
L’argent a bel et bien une odeur: elle sert même à distinguer les billets de banque authentiques. En plus des éléments de sécurité déjà connus, la Banque nationale a doté les nouveaux billets d’attributs strictement confidentiels. Photo: BNS

Quelle note donnez-vous aux nouveaux billets de banque suisses?

R. Kunzmann: La note maximale. Et je ne suis pas le seul. L’International Bank Note Society a élu le nouveau billet de 50 francs suisses plus beau billet de banque de l’année 2016.

En quoi les billets de banque suisses se distinguent-ils des autres?

R. Kunzmann: Ces billets ont une orientation verticale, comme la série précédente. C’est presque une exclusivité suisse. Ailleurs, les billets sont traditionnellement horizontaux. De plus, nos billets ont l’air frais, colorés et originaux, à l’image de la Suisse moderne.

Pour des raisons liées aux distributeurs automatiques, les nouveaux billets sont plus petits que les anciens. C’est une contrariété pour les numismates?

J. Richter: Au contraire. Le nouveau design apparaît plus compact. Il était plus dispersé sur les grands billets. Un grand format n’est pas forcément mieux.

Pourquoi les billets paraissent-ils de plus en plus colorés?

J. Richter: C’est un privilège de nos billets. Pour un pays comme la Suisse, les billets de banque sont une carte de visite. Le premier contact avec un pays s’établit souvent par l’intermédiaire du billet de banque. La couleur symbolise la diversité et le dynamisme. À comparer, les dollars et les euros ont l’air presque fades et ennuyeux.

Les billets suisses sont-ils bien protégés contre la contrefaçon?

J. Richter: Absolument. Sur son site Web, la Banque nationale indique avoir utilisé quinze éléments de sécurité, allant de l’image latente à la croix suisse composée de minuscules perforations, uniquement visibles à contre-jour. Chacun peut vérifier la présence de ces éléments. Ce que l’on sait moins, c’est que la Banque nationale a doté ses billets d’éléments de sécurité confidentiels, pouvant être utilisés dans le cas d’une contrefaçon de grande envergure.

Le commun des mortels peut-il reconnaître la fausse monnaie?

R. Kunzmann: En théorie, oui. Les billets de banque authentiques ont une odeur qui leur est propre, ils font un bruit différent quand on les froisse et ils déteignent sur le papier blanc. Mais dans la pratique, on constate souvent que les gens ne connaissent même pas la couleur des billets parce qu’ils n’y prêtent pas attention. Par conséquent, les éléments de sécurité sont destinés aux professionnels des services de l’État et non au peuple.

Racontez-nous une tentative de contrefaçon spectaculaire.

R. Kunzmann: Il n’y a pas eu de tentatives sérieuses de falsification de la nouvelle série ni de la précédente. Les dernières contrefaçons en date sont déjà anciennes. En 1976, Hans Jörg Mühlematter avait réussi à imprimer un billet de 100 francs presque parfait. Mais quelques semaines seulement après avoir mis en circulation un volume de billets d’une valeur de six millions de francs, il fut repéré et mis en prison. Vingt ans plus tard, il a récidivé avec des billets de 1000 francs. Sans succès puisqu’il est retourné derrière les barreaux. Pour l’anecdote, il s’était prémuni contre les paiements en fausse monnaie par la mafia en dessinant un minuscule smiley dans une antenne de la fourmi. Très prisés des collectionneurs, tous les exemplaires de cette série ont pourtant été mis au pilon comme la loi y oblige.

La valeur matérielle d’un billet est de plus en plus faible. Les espèces ne sont-elles plus qu’une simple question de croyance?

J. Richter: Contrairement aux devises en ligne telles que les bitcoins, les billets de banque incarnent la puissance économique d’un pays, autrement dit son produit national brut. Un billet de banque constitue une promesse de paiement. Il est aussi crédible que l’État qui l’émet. La Suisse est plutôt bien placée de ce point de vue, puisque la Banque nationale suisse dégage des bénéfices chaque année. Elle arrive même à la première place du classement mondial. Sans compter le fait que l’inflation est très faible ici.

R. Kunzmann: Les anciens billets de banque portaient la mention: «Payable en or ou en argent». Autrefois, il fallait adjoindre des objets de valeur aux billets en gage de confiance. Un exemple: l’ancienne brasserie Farnsburg, à Gelterkinden, fut un jour victime de cambrioleurs. Or, ils ne s’emparèrent que des pièces, laissant sur place les billets plus précieux. Une preuve de la méfiance suscitée par les billets.

Est-il vrai que les Chinois ont inventé les billets?

J. Richter: Oui. On a retrouvé en Chine une sorte de billet à base de fibres de riz que l’on fait remonter à 1388, ainsi que des indices évoquant des billets encore plus anciens. On y inscrivait le nombre de pièces de monnaie que l’on avait amassées. Les pièces de monnaie de la Chine impériale étaient trouées en leur milieu. Elles ont été fabriquées pendant plusieurs siècles.

Qui ont été les pionniers en Europe?

R. Kunzmann: Les Suédois ont introduit les billets au XVIIe siècle. Mais ils avaient davantage la valeur de traites. La promesse de paiement sur papier n’était destinée qu’à ceux qui pouvaient fournir des pièces ou des barres en garantie.

La Banque nationale suisse a été fondée en 1907. Avant cela, plus de 40 instituts imprimaient leurs propres billets. Quels étaient les plus exotiques?

J. Richter: Ces billets sont tellement rares que chacun d’entre eux est extrêmement spécifique. On ne passait pas inaperçu avec ce genre de billet. N’oublions pas que, il y a encore 150 ans, la somme de 100 francs représentait plusieurs mois de salaire. C’est pourquoi personne n’aimait garder les billets trop longtemps. Il s’agissait de les échanger au plus vite contre des pièces. Jusqu’en 1967, toutes les pièces de 50 centimes à 5 francs étaient en argent.

Quelle est la valeur d’un vieux billet cantonal?

R. Kunzmann: Cela peut aller de 5000 à 50 000 francs. Le territoire de la Suisse actuelle a probablement connu de 400 à 500 billets différents. On n’en a conservé que 5 à 10% au maximum. Bon nombre d’entre eux sont des billets rares que l’on retrouve parfois dans les musées ou chez les collectionneurs.

Quelle est la plus belle série de billets de Suisse?

J. Richter: La série que l’artiste lucernois Hans Erni a dessinée pendant la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement, elle n’est jamais parue. Hans Erni ayant été dénoncé comme communiste, la Banque nationale suisse a mis cette série en réserve.

R. Kunzmann: D’ailleurs, la Banque nationale a prolongé cette habitude de créer une série de réserve jusqu’à l’avant-dernière série. Elle pouvait ainsi la produire en cas de problème avec la série principale. On trouve également les billets de l’artiste Roger Pfund, qui a d’ailleurs dessiné une série de billets français.

On dit que le billet de 1000 francs suisses est actuellement le plus cher au monde.

J. Richter: C’est vrai, depuis que le billet de 5000 dollars singapouriens a vu sa valeur chuter. On pourra toutefois objecter que le billet de 10 000 dollars américains de 1929 reste encore valable, tout comme le billet de 100 000 dollars américains des années trente. Il a été conçu pour faciliter les paiements entre banques resp. entre banques centrales, à une époque où les virements électroniques n’existaient pas encore.

Le nouveau billet de 10 francs sera émis à l’automne. À quoi pouvons-nous nous attendre?

R. Kunzmann: Selon la Banque nationale, le nouveau billet montrera la Suisse à travers sa capacité d’organisation. L’élément principal sera le temps. Mais il y a encore loin des premières ébauches livrées par la graphiste Manuela Pfrunder au billet de banque imprimé. Il est nécessaire d’intégrer tous les éléments de sécurité tels que la partie plastique. C’est un travail de longue haleine pour les artistes. La surprise sera totale!

Les espèces n’en ont sans doute plus pour longtemps. Qu’est-ce que cela signifie pour un numismate comme vous?

R. Kunzmann: Malheureusement, la nouvelle série de billets est probablement la dernière. En Suède, les espèces sont en voie de disparition. Même la collecte à l’église est encaissée par voie électronique.

J. Richter: Les États veulent avoir le contrôle total des recettes fiscales. C’est pourquoi ils cherchent à imposer les paiements sans numéraire. Mais c’est au prix de nombreux problèmes, comme celui de l’explosion de la criminalité informatique. Et dans le cas d’un effondrement du système électronique, ce serait l’économie tout entière qui serait à terre. Les espèces sont le fruit d’une longue histoire et présentent aujourd’hui encore de nombreux avantages.

Alors, vous continuerez à payer avec des billets?

Jürg Richter et Ruedi Kunzmann d’une même voix: Bien sûr!

Les experts numismates

Les experts numismates

Jürg Richter (à gauche) est directeur général de SINCONA AG et commissaire-priseur. Il possède une expérience de plus de 30 ans dans le domaine de la numismatique. Avant de créer SINCONA, il a dirigé le département numismatique d’UBS. Il est spécialisé dans les pièces modernes en or et en argent à partir du XVIIe siècle, ainsi que dans les pièces suisses cantonales et fédérales, les échantillons, les écus de tir et les billets de banque.

Ruedi Kunzmann, vétérinaire de formation, s’occupe de numismatique depuis plus de cinquante ans, et suit l’actualité suisse des enchères depuis autant d’années. Il est spécialisé dans les pièces cantonales suisses, les billets de banque du monde entier et les imitations frauduleuses des monnaies étrangères.

Jürg Richter et Ruedi Kunzmann ont rédigé plusieurs ouvrages de numismatique, dont l’ouvrage de référence «Die Banknoten der Schweiz» (Les billets de banque de Suisse).

Populaires espèces

Le nouveau billet de 10 francs paraîtra le 18 octobre 2017. La Banque nationale émettra les autres billets de la neuvième série d’ici à 2019. Au total, 425,9 millions de billets d’une valeur de 72,2 milliards de francs ont circulé l’an dernier. Selon la Banque nationale, cette valeur élevée provient d’une demande en espèces de nouveau en hausse depuis la crise financière.