Photo: UBS

L’ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (OPP 2) contient des instructions explicites sur la façon dont les institutions de prévoyance doivent gérer le patrimoine qui leur est confié. Pourquoi ces directives de placement sont-elles importantes? Pourquoi sont-elles régulièrement critiquées voire remises en question?

Source des rentes

Tout comme les cotisations des employé-e-s et des employeurs, les rendements issus des placements sont indispensables pour générer et verser les rentes de retraite.

Les éléments clés nécessaires pour générer les rentes de retraite sont au centre des discussions concernant la réforme LPP 21 (graphique 1). Parmi eux, on compte l’âge de départ à la retraite, le taux de conversion, la déduction de coordination ou encore les taux de cotisation. La stratégie de placement constitue quant à elle l’un des facteurs clés pour générer des rentes élevées.

Comment les rentes sont-elles générées? Explication en détails. Source: Sven Ebeling, UBS

Si les rendements issus des placements étaient suffisamment élevés, ils pourraient régler à eux seuls le problème de financement des retraites. Malheureusement, il ne s’agit que d’une supposition, car le montant des éventuels rendements de placement générés ne se décrète pas. Tout dépend de la situation des marchés financiers. Seule une stratégie de placement mûrement réfléchie vous permettra d’obtenir le maximum de rendements. Afin que chaque institution de prévoyance puisse mettre au point une stratégie de placement sur mesure, il est nécessaire de définir des conditions-cadres, c’est-à-dire des directives de placement réalisables.

Les rendements issus des placements sont indispensables

Les phases d’accumulation et de dépense du capital retraite pour une personne assurée (graphique 2) permettent de comprendre clairement l’importance des rendements issus des placements. Ce graphique montre l’accumulation des avoirs de vieillesse durant la vie active et leur dépense à la retraite. Alors que l’évolution exacte du montant de l’avoir de vieillesse dépend de plusieurs paramètres (dont certains ont été mentionnés plus haut), environ 50% du capital épargné par une personne assurée au moment de la retraite provient du cumul des rendements issus des placements. Cela montre l’importance de la stratégie et des directives de placement choisis.

Exemple de phases d’accumulation et de dépense du capital retraite, Source: Sven Ebeling, UBS

Est-ce si difficile que cela d’investir?

Comme les rendements issus des placements jouent un rôle crucial dans le 2e pilier, il faut bien réfléchir à la façon dont on place son argent afin d’obtenir les meilleurs rendements possibles. L’année 2022 est très représentative des défis auxquels les institutions de prévoyance peuvent être confrontées. Pour ne citer que quelques exemples: une perte de diversification des portefeuilles mixtes, la hausse de l’inflation et des taux, la hausse du prix des matières premières, le cours de l’or décevant, les nombreux risques géopolitiques, les craintes de récession ou encore le durcissement de la politique monétaire de plusieurs banques centrales. Malgré tout il n’y aura, cette année encore, pas de recette magique pour réaliser des investissements fructueux.

Les résultats des placements 2022 en ont fait les frais (graphique 3). L’indice Pictet LPP-2015-40, qui sert souvent de point de comparaison pour les caisses de pension, le montre clairement. En 2022, un portefeuille diversifié type affiche une performance de –13,9% environ. Même avec une part d’actions plus faible (25%), la performance annuelle n’est guère meilleure (–13,2%). Ainsi, selon la Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle (CHS PP, communiqué de presse du 21 octobre 2022) environ 56% des caisses de pension étaient à découvert à la fin du troisième trimestre 2022.

Évolution de l’indice Pictet LPP (31.12.2018 = 100). Source: Sven Ebeling, UBS et Pictet

Directives de placement OPP 2: le statu quo

Que dit l’OPP 2 sur les directives de placement? Les directives de placement sont définies dans onze articles (art. 49 à 59), en plus d’autres exigences relatives au processus de gestion de patrimoine et notamment, à la gestion des risques. Cette ordonnance explique également comment trouver un équilibre entre sécurité, rendement et liquidité tout en définissant les principes de diversification à suivre. L’on y trouve une liste exhaustive des placements autorisés ainsi que des limites par catégorie de placements et par débiteur. Cette dernière est complétée par plusieurs articles sur les limites en matière de biens immobiliers, d’instruments financiers dérivés et de placements chez l’employeur. L’article 50, alinéa 4, mérite une attention particulière. Il s’agit d’une clause d’exception autorisant les institutions de prévoyance à étendre leurs possibilités de placements à condition qu’elles respectent les conditions mentionnées dans les trois paragraphes précédents.

Des directives controversées

Les directives de placement OPP 2 font l’objet de plusieurs critiques. Parmi elles, on compte quatre points clés:

  1. Les instructions de placements (et leurs limites) constitueraient une entrave à l’activité de placements des institutions de prévoyance.
  2. Elles réduiraient inutilement le potentiel de rendements.
  3. Elles engendreraient une vision biaisée ou trompeuse des risques encourus.
  4. Elles constitueraient un frein au développement de la Suisse en tant que site économique et lieu d’innovation.

Les politiques actuelles font également l’objet de critiques. On trouve ainsi le postulat de Damian Müller «Encourager la durabilité par des prescriptions de placement adaptées à la réalité actuelle» qui fait appliquer pleinement la «prudent investor rule» (règle de l’investisseur prudent). Nous expliquerons plus en détails dans cet article ce que ce postulat implique. La motion «Des rentes sûres grâce à une gestion maîtrisée des avoirs des caisses de pension» du membre du Conseil national Andri Silberschmidt demande, entre autres, la suppression des limitations par catégories.* Dans une approche différente, on trouve la motion de Franziska Ryser intitulée «Utiliser durablement le capital de prévoyance pour financer et promouvoir l’innovation». Elle souhaite obliger les institutions de prévoyance à investir, en l’espace de dix ans, au moins 1% de leur portefeuille de placements dans des financements de capital-risque, et ce afin de favoriser la transition vers une économie sociale.

Directives de placements: un véritable frein?

Les limites par catégories de placements constituent-elles vraiment un frein? Si l’on prend comme point de comparaison l’allocation d’actifs moyenne des institutions de prévoyance des 17 dernières années, la réponse est simple: non. L’allocation dans des placements alternatifs (Hedge Funds, Private Equity, investissements dans les infrastructures, matières premières) ne dépasse à aucun moment plus de 10% durant la période donnée, alors même que les directives actuelles autorisent une allocation totale de 30% dans de tels placements (15% de placements alternatifs, 10% d’investissements dans les infrastructures, 5% d’investissements privés suisses). Le constat est le même pour l’ensemble des institutions de prévoyance, autrement dit pour les petites et les moyennes caisses de pension. Ces dernières, limitées dans leurs activités de placement, peuvent et doivent recourir à la clause d’exception mentionnée plus haut.

Prudent Investor Rule

L’une des personnalités politiques mentionnées plus haut souhaite faire appliquer la «prudent investor rule» (règle de l’investisseur prudent), profondément ancrée dans le droit américain et britannique. Pour cela, des prescriptions générales s’appliquent lors de l’exécution des obligations fiscales, généralement effectuée par un conseil de fondation. Ces prescriptions générales s’appliquent à toutes les décisions de placement qui doivent ainsi être prises en faisant appel à une mûre réflexion, la plus grande prudence et de solides compétences financières. Néanmoins, il n’existe pas de définition absolue de l’univers de placement ou de limites explicites.

Les deux effets majeurs de la «prudent investor rule» sur les investissements peuvent être représentés à l’aide d’un graphique rendements/risque et de la courbe d’efficience (graphique 4). Cette dernière représente tous les portefeuilles efficients, c’est-à-dire les portefeuilles dont les rendements attendus sont au maximum pour un niveau de risque donné ou ceux dont le niveau de risque est au minimum pour des rendements attendus donnés.

Effets de la «prudent investor rule» sur les investissements sous forme de graphique rendements/risque. Source: Sven Ebeling, UBS

Le premier effet permet de constater une croissance de la courbe d’efficience en l’absence de limites prédéfinies. Cela veut dire que l’on cherche à obtenir des rendements attendus plus élevés en acceptant un niveau de risque plus important. Le deuxième effet permet de constater un glissement de la courbe d’efficience dans le cas où l’on exploiterait toutes les nouvelles opportunités de placements éventuelles ou les catégories de placements supplémentaires. Dans l’idéal, on obtiendrait des rendements attendus plus élevés pour un même niveau de risque. Ces deux effets devraient permettre une augmentation des rendements ou améliorer considérablement l’efficience des placements grâce à un meilleur rapport rendements/risque.

Modifications récentes des directives de placement OPP 2

Suite à ces remises en question, deux modifications des directives de placements dans l’OPP 2 ont vu le jour récemment. Depuis octobre 2020, les infrastructures sont considérées comme une nouvelle catégorie de placements à part entière, avec une quote-part maximale limitée à 10%. Ainsi, les placements dans les infrastructures ne sont plus imputés au quota des placements alternatifs, qui représentent 15% du patrimoine de placement au maximum. Ainsi, on a pu constater une hausse de la demande en placement dans des infrastructures, notamment en raison de leur meilleure diversification des portefeuilles. Cependant, investir dans des infrastructures n’est pas chose aisée et la tâche comporte plusieurs défis. Selon les statistiques actuelles disponibles, le quota de 10% semble plutôt élevé.

Début 2022, une seconde mesure a été prise et une nouvelle catégorie de placements «suisses non cotés» a été ajoutée au catalogue des placements avec un quota de 5%. Cette opportunité de placement n’est plus proposée au détriment des placements alternatifs. Cependant, le fait qu’il existe très peu de produits de placements adaptés constitue un obstacle à ce type d’investissements. Pour le moment, aucun changement de comportement d’investissement n’a été constaté chez les institutions de prévoyance. L’avenir nous dira si cette modification était nécessaire.

La durabilité comme ligne directrice

Les conditions-cadres et l’étendue des possibilités de placement des institutions de prévoyance ne sont pas seulement définies dans l’OPP 2. Les institutions de prévoyance s’appuient également sur les recommandations et les normes de l’Association Suisse des Institutions de Prévoyance (ASIP). Elles prennent notamment en compte le guide des ESG publié par l’ASIP en juillet 2022. Ce dernier contient des instructions relatives à l’intégration et à l’ancrage de la durabilité dans le processus d’investissement. Ce guide a été complété par les normes de reporting des ESG, publiées en décembre 2022 et entrées en vigueur au début de l’année 2023. La prise en compte des normes ESG lors de l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie d’investissement aura probablement plus d’impact sur les activités de placement que la (future) révision des directives de placement OPP 2.

Nouveauté dans l’organisation des placements

La marge de manœuvre sur les activités de placement n’est pas seulement influencée par l’autorisation d’établir une stratégie de placement, mais également par les possibilités en matière d’organisation des placements. Ces dernières peuvent contribuer de manière significative à l’augmentation des rendements issus des placements. Il est important de prendre en compte la révision de la loi sur les placements collectifs (LPCC), adoptée par le Parlement en décembre 2021. Elle introduit une nouvelle catégorie de fonds, le Limited Qualified Investor Fund (L-QIF). Les L-QIF sont une alternative aux produits de fonds étrangers existants comme le RAIF (Reserved Alternative Investment Fund) au Luxembourg. Cette révision est destinée à renforcer l’attractivité des fonds de placement suisses et à faciliter la mise sur le marché de produits innovants.

Du point de vue des institutions de prévoyance, les L-QIF offrent la possibilité de mettre en place une organisation des placements efficace avec des thématiques d’investissements individuelles. Ce type de fonds n’est soumis ni à l’approbation ni à l’autorisation de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et bénéficie de prescriptions de placement relativement libres, surtout en matière de placements alternatifs. Pour pouvoir jouir de cette liberté, les institutions de prévoyance doivent être transparentes et montrer qu’elles respectent certaines exigences. La délégation de la gestion de fortune est définitive.

Tout comme les placements collectifs traditionnels, les L-QIF ne sont pertinents que pour les grosses caisses de pension et les institutions collectives et communes. La consultation sur les dispositions d’exécution a été clôturée en décembre 2022. Elles n’entreront pas en vigueur avant août 2023.

En conclusion

Les directives de placement OPP 2 devraient-elles être révisées? Les informations fournies dans cet article nous permettent de retenir les points suivants:

  1. La répartition du patrimoine des institutions de prévoyance observée montre qu’il n’y a pas de restrictions, du moins pour les «caisses moyennes». Les limites fixées dans l’OPP 2 n’ont pour le moment jamais été dépassées.
  2. Dans certains cas, une extension des possibilités de placements est autorisée en recourant à un dépassement des limites, à condition qu’il soit dûment justifié.
  3. Le catalogue de placements actuellement disponible vient d’être élargi. L’avenir nous dira comment ces nouveautés seront mises en œuvre.
  4. Les mesures que les politiques souhaitent prendre, comme l’application de la règle «prudent investor rule» pourraient accorder plus de marge de manœuvre aux institutions de prévoyance. L’atteinte des objectifs dépend, entre autres, de l’application effective de ce type de directives libéralisées au niveau de l’ordonnance et de sa pertinence pour les commissions de placement qui fonctionnent selon le système de milice et de façon paritaire.
  5. La nécessité d’intégrer des critères de durabilité dans le processus d’investissement pourrait avoir un impact plus important sur l’organisation de l’activité de placement que d’autres révisions des directives de placement OPP 2.
  6. Il est possible d’obtenir de meilleurs rendements grâce à la stratégie et à l’organisation de placements. L’entrée en vigueur de la nouvelle catégorie de fonds L-QIF est une opportunité à prendre en considération.

On peut conclure que les directives de placement OPP 2 actuelles sont tout à fait justifiées et suffisamment flexibles. Elles offrent aux petites et aux moyennes caisses de pension une ligne directrice précieuse. Cependant, les instructions de placement ne sont pas gravées dans le marbre. Au contraire, elles devraient s’adapter aux besoins des institutions de prévoyance et aux nouvelles exigences. Compte tenu de leur importance au sein des activités de placement des institutions de prévoyance, elles devraient toujours faire l’objet de révisions réfléchies.

* Cette motion a été rejetée par le Conseil des Etats le 15 mars 2023, ce qui signifie qu’elle est liquidée.

Portrait of Sven Ebeling

Sven Ebeling

Asset Servicing Switzerland, UBS Switzerland AG

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